Ouvert il y a quatre-vingts ans, le camp de Drancy eut, dans l’horreur, ses héros. Dont le gendarme Camille Mathieu.
Les héros sont parfois discrets. Mais le temps peut réparer certains trous de mémoire. La preuve avec Camille Mathieu. Entre 1941 et 1943, ce gendarme mobile, en poste au camp de transit de Drancy (Seine-Saint-Denis), a aidé et sauvé huit juifs de la déportation. En 1976, Israël l’a nommé « Juste parmi les nations », le seul gendarme de Drancy à avoir été ainsi récompensé.
Jusqu’ici, il n’avait jamais reçu d’hommage officiel de la France, à titre individuel. C’est désormais chose faite. À Drancy, où l’on commémore, ce vendredi 20 août, les 80 ans de l’ouverture du camp, devenu un mémorial, la caserne de gendarmerie s’appelle désormais « Quartier Camille-Mathieu ». Comme un rappel à la vie d’un fonctionnaire qui osa désobéir.
L’art de la désobéissance
Quatre-vingts ans après, c’est son fils, Gérard, qui raconte. « Quand j’étais enfant, nous allions une fois par an chez des amis juifs de mes parents. Je ne savais pas vraiment pourquoi ils étaient si liés. » À son fils, Camille Mathieu dit simplement qu’il les a « aidés ». Le garçon ne demande pas plus de détails. Même lorsque son père reçoit la médaille des Justes. « Ce n’est que des années plus tard, en 2005, que j’ai vraiment compris. »
Tout commence le 21 août 1941. Du haut d’un mirador, Camille Mathieu, 26 ans, aperçoit des femmes, à l’extérieur du camp, tentant d’obtenir des nouvelles de leurs maris, arrêtés la veille par la police parisienne. Il leur demande de partir. Elles insistent. « Écrivez nom et adresse sur un bout de papier, posez-le par terre et disparaissez. Je vous donnerai des nouvelles », répond-il.
Dès lors, Camille Mathieu fera passer des colis de nourriture et des lettres. Aidera d’anciens internés à passer en zone libre. Protégera une famille en la cachant chez sa mère, dans l’Aube. En 1943, il est limogé de la gendarmerie suite à une dénonciation calomnieuse.
La fierté de la famille
Chez les Mathieu, si l’on n’a pas compris tout de suite qu’il y avait un grand homme dans la famille, c’est parce que ce dernier « ne s’en est jamais vanté », se souvient son fils. « Pour lui, il n’y avait aucune bravoure dans ses actes. Avec ma mère, ils n’ont pas réfléchi, pas même pensé aux risques. C’était ainsi. » Si vous lui demandez si avoir un père Juste porte ou pèse, Gérard Mathieu vous répond simplement qu’il est « fier ». Que ses enfants et petits-enfants sont « fiers ». Qu’il essaie de ne rater aucune des commémorations. Et que la mémoire se transmet.
En 2012, son neveu Loris a fait partie d’une délégation de descendants de Justes invitée en Israël pour y rencontrer certains rescapés sauvés par leurs aïeux. À Jérusalem, dans les jardins de Yad Vashem, l’Institut international pour la mémoire de la Shoah, le jeune homme a pu voir l’arbre planté pour son grand-père, en souvenir de ses actes.
Après une carrière dans l’armée, Camille Mathieu est mort en 2017, à 102 ans. « Je m’intéresse, je lis des choses, mais je regrette que le grand public ne connaisse pas assez l’existence de ces personnes qui ont, au péril de leur vie, sauvé des hommes, des femmes, des enfants » : pour Gérard Mathieu, à l’heure où l’antisémitisme s’exprime sans complexe, l’histoire des Justes est plus que jamais un exemple à transmettre.